Compréhension ou poésie? Expression « totale » ou « castration »?

L’écriture unifiée est-elle une horrible contrainte ?

Avec la diversité de nos patois francoprovençaux se pose la question de leur intercompréhensibilité, surtout à l’écrit. La raison d’être essentielle de l’écriture commune est de permettre une compréhension plus aisée entre nos différentes « variantes » de francoprovençal.

Cependant, l’attachement aux sons d’une langue n’est pas indifférent. On chérit les sons de son propre langage. A tel point que, pendant la lecture des autres dialectes écrits en écriture commune, on préférera leur « surimposer » notre propre prononciation, plutôt que de lui laisser une apparence sonore « neutre ». Autrement dit, même si nos langues francoprovençales ont en commun un même squelette, les locuteurs de chaque variante de patois rechignent à l’idée de considérer ce squelette en tant que tel.

Ainsi, l’écriture commune, bien qu’un mal nécessaire, reste considéré comme un mal. En effet, nous savons que la poésie de notre propore variante de francoprovençal ne va pas être perceptible par les autres en écriture commune.

Sommes-nous donc condamnés à n’être que des squelettes, ou à ne parler que de choses « désincarnées » quand nous parlons en écriture commune? Bien sûr, même si nous ne pouvons plus exprimer de sentiments dans l’habillage de notre langue, nous pouvons toujours exprimer nos sentiments dans le contenu de notre message…

Notre prononciation exprimerait-elle un simple attachement aux proches qui de tout temps ont prononcé la langue de cette manière. Cet attachement procèderait-il d’une attitude rétrograde, par essence conservatrice, « mauvaise »? En d’autres termes, l’attachement aux sons des mots ne constituerait-il qu’une attache infantile?

Serait-il plutôt un attachement « poétique », musical?
La poésie c’est la magie de l’union du contenant, les mots tels qu’ils « sonnent », et du message, avec sa logique et potentiellement des accents émotionnels, par exemple l’attachement à des valeurs. Au fait, curieusement, la poésie n’intégre pas la prosodie, la mélodie de la phrase. Les partitions de musique indiquent les diminuendos, les ritenendsos, les crescendos et decrescendos, pas la poésie, étrangement. C’est comme si la poésie voulait bien être de la musique, mais pas trop!

Une telle poésie en francoprovençal reste possible, même en écriture unifiée. A l’heure du multimédia inhérent au monde des ordinateurs et d’Internet, il suffit de joindre à la poésie écrite en écriture unifiée, le texte récité. Ceci n’empêcherait pas les lecteurs de surimposer « leur » prononciation au texte écrit. Cela donnerait simplement la possibilité d’apprécier une autre poésie. Avant l’écriture unifiée on était obligé de s’intéresser aux sons des textes en d’autres variantes de patois en même temps qu’à leur contenu. Avec l’écriture unifiée et l’apport multimédia, on peut encore faire les deux, sans y être forcé.

Tout le monde aime la poésie de sa propre langue, liée à sa vie personnelle. Tout le monde n’a pas nécessairement un esprit de linguiste ou de poète intéressé à la poésie d’autres variantes de son parler.

L’écriture unifiée donne au patoisant une impression de grave dépossession de sa langue. En effet, elle semble réduire son language fleuri et charnu à un simple message en écriture commune. Heureusement, il peut continuer de lire l’écriture commune en « entendant » dans sa tête, ou en prononçant le texte avec sa propre prononciation.